Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article DISPENSA TOR

DISPENSAT O R , littéralement payeur, dépensier, de dispensare, dispendere.On rencontre quelquefois dans les inscriptions dispesator Les antiquaires romains font remarquer que ce mot remonte au temps où l'on pesait la monnaie au lieu de la compter 2. Le dispensateur était un esclave de la classe la plus distinguée, un ordinarius3 [SEBVUS]. Dans les maisons où le personnel était aucomplet il dépendait du procurator, qui avait la haute main sur l'administration domestique'. Trimalcion a un procurateur qui reçoit les comptes, tandis que c'est un dispensateur qui fait les payements 6. Il est plus difficile de saisir la différence entre le dispensateur d'une part, factor et le villicus de l'autre. Le premier de ces deux agents parait appartenir, comme. le second, à l'administration rurale, factor s'occupant des comptes et le villicus administrant le domaines. Le dispensateur appartient plutôt à la famille urbaine'. Toutefois, nous voyons par un texte du Digeste que cette distinction n'est pas absolue'. Il peut y avoir un dispensateur faisant partie de la famille rustique 9. Dans ce cas il tient la place de Factor". Il tient même celle du villicus dans les propriétés de moindre importance, où factor et le villicus ne font qu'un n. L'ATRIENSIS, dont il est question dans divers passages de Plaute, est sans doute le dispensateur sous un autre nom exprimant des attributions d'un autre ordre. C'est à l'époque où le train de maison est devenu plus considérable que ce serviteur s'est dédoublé et que 1'atriensis a vu ses fonctions réduites à la garde du mobilier12. On ne confondra pas le dispensateur avec le negotiator, dont le titre nous laisse à peu près entrevoir les attributions. Une inscription nous apprend qu'elles étaient distinctes de celles du dispensateur, et en même temps qu'elles pouvaient au besoin s'y ajouter : « Flavia[nusj L(ueii) Aemil[ii] dis(pensator), item] nego[tiator] S3. » Au reste il ne faudrait pas s'exagérer la valeur de toute cette classification. Toutes les maisons n'étaient pas montées sur le mémo pied. Les rôles n'étaient pas distribués partout de la même tacon. Les mêmes termes n'avaient pas toujours une signification exactement semblable. Ainsi le dispensateur qui, à la campagne, était mieux qu'un simple payeur et à qui incombait toute la gestion financière, n'avait pas quelquefois en ville une responsabilité moindre. Ii est probable que, dans ce cas, il tenait lieu du procurateur. Cicéron écrit à Atticus qu'il ne saurait débrouiller ses affaires en l'absence du dispensateur qui en tient le fil : 1l Quod qui cas dispensavit neque adent istic, neque ubi lerrarum sil nescio 1i. » Il doit faire allusion à son factotum et ami Tiron. Dans certaines maisons il y avait des dispensateurs particuliers pour divers services. Une inscription mentionne un disp(ensator) ad trichlinium 16 qui doit être une sorte de maître d'hôtel. Une autre un disp(ensator) cellee Nigrinianae 16, dont on ne sait au juste comment définir les fonctions. Cette division du travail se rencontre surtout dans le palais impérial, où elle est pratiquée sur une vaste échelle. Ce sont les dispensateurs impériaux qui forment la série la plus intéressante à étudier. On peut distinguer ceux qui sont employés à la cour et ceux qui servent dans les administrations publiques. Les uns et les autres s'intitulent très souvent dispensatoues Auqusti ou Caesaris tout court, de sorte qu'il faut deviner de quelles affaires ils étaient chargés. On trouve par exemple à Pouzzoles des dispensatores Auqusti que leur résidence permet de classer parmi les dispensateurs de la fllotte 17. Mais on n'a pas toujours pour se guider un indice aussi sûr. Plusieurs anecdotes nous montrent l'empereur suivi de son dispensateur et puisant dans sa bourse pour ses libéralités. Le dispensateur, après avoir fourni l'argent, inscrit la dépense sous un chapitre déterminé'". On se demande quel était au juste le titre de ce serviteur, et si l'on trouve à l'identifier avec quelqu'un de ses collègues, parmi ceux que les inscriptions désignent plus clairement. La question peut paraître prématurée pour les premiers temps de l'empire. A cette époque l'administration de la maison impériale était très simple et le personnel peu nombreux. Le dispensateur d'Auguste, celui qui dans l'historiette racontée par Macrobe 19 verse une si belle somme au poète grec famélique, ne diffère peut-être pas de l'affranchi de Tibère qualifié a rationibus clans une inscription de Rome". On voit en effet, par un texte du pseudoQuintilien, que le dispensateur était supra rationes positus21 et, d'autre part, on sait que la grande importance et l'éclatante fortune de ce titre a rationibus ne datent que du règne de Claude et de la toute-puissance de Pallas 5.2 Quoi qu'il en soit, si l'on pose la même question pour les temps postérieurs et s'il s'agit du dispensateur de Galba ou de Vespasien, on sera tenté de le reconnaître dans le dispensator castrorunc" ou fisci ca.strensis21. On a vu ailleurs ce qu'il faut vraisemblablement. entendre par là [CASTRENSrs]. Le mot castra étant employé dans le sens de maison de l'empereur, et non pas seulement de maison militaire, le fiscus castrensis serait la caisse qui alimente les dépenses de la cour, et le dispensator fisci castrensis celui qui la gère sous la hante surveillance du procurator castrensis, ou t'ationis, ou fisci castrensis 2", On peut penser aussi, puisqu'il s'agit des dépenses personnelles de l'empereur, au dispensator rationis privatae 26. Il est vrai qu'il n'existe pas avant Septime Sévère. C'est Septime Sévère en effet qui imagina la ratio privata pour reconstituer, au profit de sa dynastie, l'avoir personnel de l'empereur, lequel avait fini, sous son ancien nom de patrimonium, par devenir une sorte de domaine de la couronne. Mais c'est le patrimoine qui auparavant équivalait à cet avoir27, et de même que le procurator rations privatae est assisté d'un dispensateur, on peut supposer que ce collaborateur ne fait pas défaut au procurator patrimonii. Toutefois il est à remarquer qu'aucun texte ne nous révèle l'existence d'un dispensator patrimonii centralisant les revenus de cette administration, et d'ailleurs les deux inscriptions qui nous font connaître chacune un dispensator t'ationis privai« ne sont ni l'une ni l'autre originaires de Rome, mais simplement de deux villes italiennes ", de sorte que rien ne démontre qu'il ne s'agisse pas tout simplement d'une administration locale. M. Otto Hirschfeld conclut de ces faits et des analogies qu'ils présentent avec l'administration du fisc, que la caisse centrale du patrimonium, pas plus que celle du fisc lui-même, n'était confiée à des subalternes 29. S'il en est ainsi, on est amené à voir dans le dispensateur attaché à la personne du prince, tel que les textes cités plus haut 90 le mettent en scène, un agent d'ordre tout à fait secondaire. On l'identifierait volontiers avec le domus Auqusti dispensator nommé dans une inscription de Sparte, si la provenance même de ce document ne semblait devoir faire écarter cette hypothèse ". Il faut signaler maintenant quelques dispensateurs en sous-ordre dont les attributions sont nettement limitées et qui rte représentent bien évidemment qu'une très faible partie de ce personnel, car on peut, croire qu'il n'y avait pas un service dans le palais qui n'eût ses fonds spéciaux et un de ces fonctionnaires pour les manier. Il n'est pas toujours facile de les rattacher à l'administration dont ils dépendent. Il parait probable pourtant que le dispensator ab loris 32, pour le service de la table, et le disp(ensator) a jument(is) 33 pour les écuries, les bêtes de somme, puisaient à la caisse du dispensator fesci castrensis. De mème le disp(ensator)... ab aedificis voluptaris34, pour les maisons de plaisance impériales, devait fournir aux frais du disp(ensator) vill(ae) Mamar_ ranae 33, du disp(ensator) hortorum Atticianorum 36, du disspe(nsator) (sic) [hortorum] ?Aure[lianorum]37, du d[ispen]sa[to]r boni o(rum) [Tiitianor(um) 38, et, s'il est vrai, ils devaient être, comme le disp(ensator) ab aediftcis voluptaris lui-même, sous les ordres du procurator voluptatum. On serait ainsi conduit à les subordonner tous au procurator patrimonii ou, plus tard, au procurator rationis privatae, si les propriétés en question rentraient dans la fortune privée de l'empereur. Cette fortune, sous l'une et l'autre dénomination, patrimonium ou ces privata, ne se bornait pas à Rome ni même à l'Italie. Elle embrassait dans les provinces de vastes domaines,et de puissantes exploitations. On doit donc trouver des dispensateurs de cet ordre sur tous les points du monde romain. S'il faut en croire une inscription qui nous donne un disp(ensator) p(atrimonii)? r(egni) N(orici) 39, il y en avait un par province à la tête du service. Mais ii faut dire que ce texte, dont la lecture ne paraît même pas très assurée à M. Mommsen, est unique dans son genre, et d'ailleurs se rapporte à une de ces provinces procuratoriennes qui étaient considérées comme autant de domaines de l'empereur 40. Il serait téméraire d'en tirer une conclusion générale. On peut pourtant rapprocher de ce document un autre provenant de la ville d'Hispalis, dans la Bétique. C'est un monument dédié à un dispensateur de la caisse du patrimoine : « ..a Felici dispens(atori) arce (sic) patrimon(ii) n... » M. Hubner le classe sous la rubrique « actes et officia privata42 », sans doute parce que la mention ordinaire Augusti (dispensator) ou servus Augusti fait défaut; mais, d'autre part, l'arcs patrimonii ne peut guère se dire de la fortune d'un particulier; aussi M. Ilirschfeld n'hésite-t-il pas à conclure qu'il y avait dans les provinces deux caisses centrales, l'une pour le fisc, l'autre pour le patrimoine". On sait que la plupart des entreprises minières relevaient du patrimoine, quand elles ne rassortissaient pas au fisc. On est donc autorisé à nommer ici le dispesator (sic) aurariarum Delmatarum connu pal' une inscription de Salone 4L, et avec lui le disp(ensator) Aug(usti) no(slri) résidant à Ampelum, dans la Dacie, et que l'on peut pour cette raison rattacher à l'explditation des mines d'or de cette province 45. D'autres dispensatores Augusti, dispersés dans les provinces, dans la Mauritanie46, dans l'Eubée 47, dans la Phrygie 48, doivent être également commis à la gestion de la fortune impériale. On peut attribuer les mêmes fonctions au disp(ensator) region (tom) Padan(ae) Vercellensium, Ravennatium4B. Ces deux territoires qu'on ne rencontre nulle part ainsi groupés et qui chacun relèvent d'une des onze régions établies par Auguste, Verceil de la onzième et Ravenne de la huitième co représentent peut-être un district de l'administration du patrimoine. On hasardera la même conjecture à propos du disp(ensator) reg(ionis) Thug(gensis) dans la province d'Afrique 51. Enfin, pour revenir à Rome et en finir avec ce qui concerne, de près ou de loin, le service personnel du prince, il reste à mentionner les spectacles et les jeux, que l'on peut considérer comme y étant annexés 02. Les inscriptions relatives à cette institution nous donnent un dispensator ludi magni J3, dépendant du procurator ludi rnagni, qui est préposé à une des quatre écoles de gladiateurs entretenues par l'empereur 54 ; un disp(ensator) summi choragi 00, pour le matériel théâtral dont l'empereur faisait également les frais; un dispensator rationis ornamentorum 56, pour le costume des acteurs ; tous deux dépendant du procurator summi choragi [caolACIUM]. Nous arrivons aux dispensateurs employés dans les administrations publiques, bien qu'au fond cette distinction, appliquée à ce qui relève du patrimoine et du fisc, soit plus conforme aux idées des modernes qu'à la théorie du gouvernement impérial. En dehors du trésor sénatorial ou AERAHI[M, dont les recettes et les dépenses allèrent se ri duisant saris cesse, il n'y avait pas un revenu de l'État qui n'appartînt à l'empereur et pas une charge qui ne fût pas supportée par lui, si bien que la différence entre la fortune publique et sa fortune privée, entre le fisc et le patrimoine, était purement formelle et entièrement illusoire. C'est pourquoi on a vu plus haut le fisc entrer pour une si large part dans les frais de la cour (fiscus castrensis) ; c'est pourquoi aussi nous voyons le fisc administré, à l'égal du patrimoine, comme la fortune d'un particulier. Ce qui caractérise en effet cette administration, c'est son personnel tout domestique, c'est-à-dire les titres de ses agents empruntés à la vie privée. Ni les procurateurs, qui sont les intendants de l'empereur, ni les dispensateurs, qui sont tout simplement ses esclaves, ne se rencontrent dans le service de l'aerarium. Cette fois encore les documents ne nous font connaître qu'un très petit nombre de ces derniers; mais il n'est pas douteux que sur ce terrain, comme sur l'autre, ils ne formassent une armée. Chaque province impériale et même sénatoriale" avait sa caisse, son /iscus provinciae rattaché à la caisse centrale, au fisc de Home et géré par un procurateur (procurator Augusti provinciae). Ce procurateur était assisté d'un dispensateur, comme il résulte formellement d'une inscription dédiée au disp(ensator) ad fiscum gallicum provinciae Lug dunensis 58. Il faut sans doute lui assimiler le dispensator rationis provinciae Pannoniae 69 et peut-être le dispensator regni Norici 60. En général il semble que tous les dispensateurs de provinces, dont les fonctions ne sont pas autrement spécifiées, rentrent dans cette catégorie 6t. On trouve aussi dans les provinces des dispensateurs attachés à la perception des impôts. En Afrique, un dispensator a tributis résidait dans la capitale, à Carthage 62• C'est une question de savoir dans quelle mesure le fisc bénéficiait du tribut dans les provinces sénatoriales; une autre, par qui le tribut était perçu. M. Hirschfeld croit que ce soin revenait au questeur, auquel cas le dispensateur aurait dépendu de ce magistrats'. M. Mommsen pense au contraire que la levée des impôts dus soit au fisc, soit même à l'aerarium, et tant dans les provinces sénatoriales que dans les provinces irpériales, est confiée au procurateur de la province 64. Notre dispensateur serait dans ce cas sous les ordres de ce fonctionnaire. Le dispensator rationis extraor(dinariae) proeinc(iae) Asiae, dont l'inscription a été trouvée à Éphèse 65, pose une question difficile. Qu'était-ce que cette ratio extraordinaria? M. Hirschfeld la distingue du flseus Asialieus dont l'administration était installée à Rome; rnais quand il considère cette caisse provinciale comme destinée à recevoir les autres revenus fiscaux en Asie, il n'explique pas l'épithète extraordinaria66. Peut-être s'agit-il d'une contribution extraordinaire imposée à l'époque des Sévères dont ce monument paraît être contemporain. Le gouverneur, légat ou proconsul, n'étant pas administrateur financier, n'avait pas de dispensateur. Du moins on ne lui en connaît point. Il en était autrement du commissaire délégué dans la province, à intervalles plus ou moins éloignés, pour y procéder à l'opération du cens, bien qu'il n'eût pas plus que le gouverneur des finances à administrer. On rencontre un dispensator ad census provinciae Lugdunensis 67. Le disp(ensator) poilus Ilipensis, qui reconnaît pour son chef le proc(urator) prov(inciae) Baeticae6S, n'a rien à voir avec la surveillance du port. Il est attaché à la perception du droit de douane, du portorium 69. Un disp(ensator) vigesimae heredit(atium) ne donne lieu à aucune observation. Il fait partie du bureau central à Rome 70. Le dispensator) rationis monate (sic pour monetae71), sous les ordres d'un procurator monetae, qui date de Trajan 72, faisait, suivant M. Hirschfeld, le compte de l'or et de l'argent employés pour la fonte des monnaies impériales u. Le disp(ensator) operum publicorum74 ou, plus exactement, dispensator rat(ionis) aed(ium) sacr(arum) et oper(um) publicor(um)75 relève de la grande curatèle des travaux publics instituée par Auguste. Un curieux document, qui nous fait pénétrer dans le détail de cette administration, nous sert à déterminer la place que cet agent y occupait. C'est une inscription du temps de Septime Sévère qui nous donne, au sujet d'une affaire, du reste assez mince, tout un spécimen de correspondance administrative76. On y voit que la gestion financière, à cette époque du moins, appartenait au procurator operum, mais sous la haute surveillance des deux nationales, c'est-à-dire, suivant l'opinion qui paraît la plus probable, du procurator a rationibus, chef suprême du fisc, et du procurator summarum rationum, son adjoint. Le dispensateur qu'on vient de citer était donc employé dans les bureaux du procurateur, et les fonds qu'il maniait provenaient du fisc. Toutefois M. Hirschfeld croit qu'ils pouvaient provenir tout aussi bien de la ratio prirala, laquelle aurait été placée sous le contrôle indirect des nationales, et il invoque à l'appui des raisons dans lesquelles on n'a pas à entrer ici". Le même savant nomme, à propos du dispensator operum publicorum, un dispensat(or) CapiColi7$, dont l'emploi reste assez énigmatique. Il pense que lorsqu'on mettait en train quelque grande restauration ou quelque construction nouvelle, on instituait à cet effet une caisse spéciale, et il voit dans le dispensateur du Capitole un agent préposé àune caisse de ce genre. De plus, comme la femme de cet homme a nom Julia, c'est-à-dire est très vraisemblablement une affranchie de la famille des Jules, il conjecture que cette inscription pourrait bien dater du temps d'Auguste et contenir une allusion à la restauration du Capitole entreprise par le premier empereur et dont il est question dans le monumentd'Ancyre 79. Une administration comme celle de l'annone [ANNONA] ne pouvait manquer de requérir un grand nombre de dispensateurs. Les textes en mentionnent quelques-uns sous des dénominations diverses : dispensator fisci frumentarii, dispensator annonae, dispensator ad frumenturn ou a frumento. Le fiscus frumentarius fait face aux dépenses de l'annone proprement dite et des frumentationes. En d'autres termes il pourvoit à l'approvisionnement de la capitale en blé comme aux distributions mensuelles et gratuites, car, bien que l'approvisionnement et les distributions soient deux opérations distinctes, on ne voit pas qu'il y ait eu pour y pourvoir deux caisses séparées. I1 semble résulter au contraire d'un passage d'Hérodien 80 que les deux services vivaient l'un et l'autre sur un fonds commun, et ce qui confirme cette opinion, c'est d'abord la mention d'un fiscus stationis annonae qui paraît identique au fisc frumentaire 81, et c'est en second lieu qu'on ne trouve point pour ce fisc d'administrateur, de procurateur spécial. Il relevait donc directementdu prae fectus annonae 82 placé à latéte de l'annone dans le sens le plus large, et par conséquent chef immédiat du dispensator fisci frumentarii". On comprendra maintenant l'identité du dispensator annonae et du dispensator ad f'rumentum, identité attestée par les deux inscriptions où Abascantus, esclave de l'empereur, prend indifféremment l'un et l'autre titre 84. Le personnel ad frumentum ou a frumento, placé sous les ordres du procurateur a frumento et dispersé sur tous les points de l'empire, à Rome, en Italie, dans les provinces, avait sans doute des emplois variés, mais on peut dire, d'une façon générale, qu'avec les fonds tirés du fisc frumentaire il achetait, expédiait, recevait les blés, soit pour la distribution gratuite, soit pour la vente à bon marché, c'est-à-dire soit pour la frumentatio, soit pour l'annone. Quant au personnel annonae, qui du reste est rarement mentionné, il y a tout lieu de croire qu'il ne différait pas, sous un autre nom, du DIS 284 DIS personnel ad frumentum R''. Les dispensateurs connus sont les suivants. D'abord Abascantus, dont les deux inscriptions sont originaires de Préneste et qui faisait peut-être partie de l'administration urbaine. On rencontre au temps d'Hadrien un disp(ensator) a frumento Puteolis et Ostis, pour Ostie et Pouzzoles 86. Il relevait du procurator poilus Ostiensis, à partir d'Hadrien procurator annonae ou ad annonam Ostiis, chargé de la surveillance des arrivages dans le grand port voisin de Rome. On voit que cette surveillance s'étendait à la station moins importante de Pouzzoles. Le dispensateur placé sous ses ordres avait sans doute à faire le compte des navires et du fret". Le disp(ensator) frument(i) mancip(alis) dont l'inscription a été trouvée à Rome et peut, à cause du nom de la femme Fl(avia) Corinthias, être rapportée à l'époque des Flaviens Se, a suggéré deux explications différentes. Pour M. Hirscht'eld, le frumentum mancipale est l'impôt en nature prélevé sur les provinces sénatoriales par l'intermédiaire des publicains et reçu au nom du fisc par le pranzagzsters2 et Iedispensator frumenti mancipalis 90. Pour M. Marquardt, ce blé a été tout simplement acheté par des spéculateurs ayant passé avec l'État un contrat dont l'exécution est contrôlée par les employés qui reçoivent livraison de la marchandise. Il remarque que, si le frumentum mancipale eût été cet impôt en nature, on aurait conservé pour cette redevance les anciens°noms decuma et decunzani91. L'objection n'est pas décisive. Il y a même un fait qui paraît venir à l'appui de l'hypothèse contraire. C'est que l'inscription de Vibius Salutaris, promag(ister) frumenti mancipalis, a été découverte à Éphèse 92, dans la capitale de la province sénatoriale d'Asie, la plus largement mise en coupe par les fermiers du temps de la république. Au reste M. Hirschfeld se trompe sur ce personnage. Rien n'autorise à croire qu'il ait exercé ses fonctions à Rome, et le titre qu'il porte n'est pas celui d'un agent impérial. C'est celui que portent les sous-directeurs des compagnies de publicains en résidence dans la province exploitée 93. L'agent impérial, c'était le dispensator frumenti mancipa lis. C'était lui qui contrôlait et recevait le blé expédié par les soins du pl-magister, soit à titre de contribution, soit après achat. Il y avait des dispensatores a frumento dans les provinces. Une inscription de Cius enBithynie est dédiée à Flavia Soph e par son mari [ge]nialis Caesaris Augus(ti) [se]rvos verna dispen(sator) [ad] frumentum... olao[v6]pou Ë7t Toû eefenu9' n On a trouvé à Metz un monument consacré pour le salut de l'empereur Pertinax et de sa famille par son esclave Oceanus dispens(ator) a frumento95. M. Léon Rénier voit dans ces fonctionnaires des commissaires des vivres pour les armées 96. M. Marquardt, qui se rallie à cette opinion, cite à l'appui la correspondance de Pline avec Trajan. Précisément elle roule sur l'administration de la Bithynie, oit Pline était gouverneur et où résidait le premier de nos deux dispensateurs a frumento. Pline, qui disposait de quelques cohortes, complète l'escorte de Maximus, procurateur et affranchi de l'empereur, délégué en mission extraordinaire pour aller acheter du blé dans la Paphlagonie. Mais il ne résulte nullement de sa lettre et de la réponse de Trajan que ce blé ait été destiné aux troupes". Quant à Oceanus, s'il est vrai qu'il a dû être nommé à son poste en même temps que son maître arrivait à l'empire, il ne s'ensuit pas qu'en l'envoyant à la frontière, Pertinax ait eu pour unique souci de confier à un homme à sa dévotion le soin d'approvisionner I'armée de Germanie. Ce court document n'en dit pas si long. Les dispensateurs a frumento seront donc pour nous, jusqu'à nouvel ordre, de simples agents de l'annone civique98, Ce n'est pas qu'il n'y eût des fonctionnaires de ce nom employés dans l'armée, mais alors leurs attributions toutes militaires sont nettement spécifiées, sans l'addition a frumento, et l'on n'a pas plus de raisons pour les supposer chargés du service des vivres que de celui de la solde. Une inscription de Pouzzoles donne un disp(ensator) classis de l'époque de Trajan99. Il est attaché à la flotte de Misène et n'est sans doute pas seul de son espèce, car, ainsi qu'on l'a remarqué plus haut, la même localité fournit d'autres monuments où les dispensatores Augusti, pour n'ètre pas autrement caractérisés, n'en doivent pas moins être assimilés au précédent'. Il faut sans doute ranger dans la même classe l'inscription suivante trouvée à Gaète : « Laconae vern(ae) disp(ensatori) qui vixit ann(os) LX VI et est conversatus summa sollicitudine in diem quoad vixit circa tutelam praetori Amazonicus Aug(ustorum duorune) lib(ertus), procurat(or), p(atri)...165 i ° Le fait que le fils est affranchi impérial prouve que le père était dispensateur de l'empereur. On sait d'un autre côté que la flotte de Misène était qualifiée praetoria [cLASSIS]. Nous n'avons donc là qu'une périphrase pour dispensator classis. Les données sont plus difficiles à débrouiller en ce qui concerne l'armée de terre. Plusieurs textes nous font connaître des dispensateurs institués en vue d'une guerre déterminée. Pline l'ancien cite un esclave de Néron dispensateur pour la guerre d'Arménie f09. Dans une inscription de Rome figure un dispesator Aug(usti) primae et secund(ae) expeditionis Germ(anicae) felic(is)103. Dans une autre d'Altinum un Aug(usti) n(ostri) dispensator) rat(ionis) cop(iarum) exped(itionuni) fel(icizlm) II et III Germ(anicarum)1°', titre qui ne diffère du premier qu'en ce qu'il est plus complet. Diverses questions se posent à propos de ces trois personnages. D'abord on voudrait savoir quelle était au juste leur place dans la hiérarchie, si c'étaient des subalternes, ou des chefs de service. Nous sommes fort mal renseignés sur l'intendance chez les Romains 105 Nous constatons pourtant qu'elle pouvait être confiée à des fonctionnaires d'un rang supérieur à celui de nos dispensateurs. Sans même parler du praefectus vehiculorum pour la voie Flaminienne, la grande voie de communication entre la capitale de l'empire et les pays transalpins et dont l'administrateur, pour cette raison, était chargé de veiller au transport de l'empereur et des troupes de sa suite, nous connaissons, par une inscription d'Espagne, un praepnsitus copiarum expeditionis Germanicae secundae, personnage équestre, ancien tribun légionnaire et préfet de cohorte, admis plus tard dans le sénat et devenu un des grands généraux du temps de Marc Aurèle et de Septime Sévère "6_ Il est clair que, même avant sa grande fortune, et alors qu'il n'était que chevalier, il ne pouvait être subordonné à un dispensateur de condition servile. Mais il se peut aussi qu'il n'y eût pas de règle fixe pour cette branche de l'administration et qu'en certaines circonstances un dispensateur parût suffisant. Sur ce point, comme sur beaucoup d'autres, nous sommes réduits aux conjectures. On ne voit pas bien non plus en quoi ce dispensateur se distinguait des affranchis impériaux a copiis rnilitaribus 107. Enfin on se demande comment le même service était assuré en des circonstances normales. L'épigraphie africaine fournit trois inscriptions relatives à des dispensateurs de la troisième légion Augusta 1°8 ; mais il faut attendre qu'on ait fait la mème découverte pour d'autres corps de l'armée avant d'affirmer, avec M. Rénier, qu'ils étaient chacun munis de ce rouage 109. Il faut se souvenir que cette troisième légion présente une particularité qu'on ne rencontre dans aucune autre et qui reste encore à expliquer : seule entre toutes elle s'est adjoint un personnel d'affranchis et d'esclaves impériaux dont nos dispensateurs font sans doute partie et dont la présence à Lambèse soulève une difficulté se rattachant à la question si obscure et si controversée du fiscus castrensis_ Pour M. Hirschfeld, dont l'opinion sur ce point a été re_ produite plus haut, la solution pourrait être, si nous le comprenons bien, la suivante. Le texte capital est un monument élevé par la familia rationis castrensis à Septime Sévère, en l'an 20310. On en conclurait que cet empereur est venu en Afrique cette année, y transportant cette domesticité de cour. Peut-être a-t-il voulu, en l'installant auprès de la légion africaine, faire de cette troupe un corps privilégié, une sorte de garde impériale, honorant en elle la province dont il était lui-même sorti"'. Ce n'est là, comme on le voit, qu'une hypothèse, et singulièrement fragile, à laquelle M. Mommsen fait des objections qu'on regrette de ne pas voir plus développées f12. Il ne saurait convenir ici d'entrer plus à fond dans le débat. On en a dit assez pour montrer quel est l'intérêt de la question, et quelle réserve elle comporte tant qu'on ne disposera pas pour la résoudre de documents nouveaux. Les villes, les corporations pouvaient avoir aussi leurs dispensateurs. Nous trouvons à Asculum un Ru fus col(oniae) disp(ensator) arce summar(um) 13 à Pola, sous une forme plus concise, un Valerianus summaru(m) dispensat(or) 1" Le mot summae (rationes) ne veut pas dire ici trésor impérial. Il s'agit des financés de la ville 15. Enfin une inscription de Rome nous fait connaître un dispensateur des decuriales geruli 1e, classe d'appariteurs servant de messagers 117. Il faut mettre à part l'inscription suivante originaire de Salone : « T(ito) Flavio T(iti) fil(io), Tro(mentina tribu), Agricolae, decur(ioni) col(oniae) Sal(onitanae), aedili, II vir(o) jure dic(undo), dec(urioni) col(oniae) Aequitatis, II vir(o) q(uin)q(uennali), disp(ensatori)? municipi Riditar(um), praef(ecto) et patron(o) coll(egii) fabr(um) » etc. 118. Ces fonctions de dispensateur, attribuées, non seulement à un homme libre, mais à un personnage considérable, à un magistrat, constituent une anomalie telle que M. Mommsen se refuse à l'expliquer. Il aime mieux laisser en suspens la lecture de l'abréviation disp, plutôt que d'y reconnaître le titre d'un de ces dispensateurs qui font le sujet de cet article 19. C'est qu'en effet, il n'en est pas un, au service de l'État ou des particuliers, qui ne soit de condition servile. Ce point, qui a pu être contesté autrefois 120, ne l'est plus et ne saurait l'être devant la multiplicité et l'unanimité des témoignages. On en voit dont les fils sont citoyens romainsf21. On en voit même un dont le fils s'est élevé au décurionat 122. Mais on n'en voit aucun qui, dans l'exercice de sa fonction, ait été autre chose qu'un esclave. Les textes qui avaient pu faire croire le contraire ont été mal compris. L'inscription de C. Memmius C. f. Gal. Lupercus dispensator annonae est fausse 123. L'inscription de L(ucius) lunius Silani l(ibertus) Paris dispens(ator), calator auqur(um) 122 signifie que cet homme a été affranchi après avoir été dispensateur, puis est devenu serviteur du collège des augures [cALATOS]. La formule « qui dispensaeit 125, qui fuit dispensator 126 exprime plus clairement encore un fait du même genre. Elle ne s'applique jamais qu'à des individus pourvus des trois noms qui caractérisent l'homme libre, mais avec un cognomen qui trahit le plus souvent, par son apparence exotique, leur émancipation récente 127. Non que les dispensateurs fussent des agents d'ordre inférieur et médiocrement considérés. C'étaient au contraire des hommes de confiance, pris le plus souvent parmi les esclaves les plus estimés, ceux qui étaient nés dans la maison du maître, les vernae 128. Ils épousaient des femmesde condition libre 229 et étaient riches. Quelques-uns, les mieux pourvus sans doute, l'étaient énormément. On comprend en effet que ces charges, et surtout les plus importantes, dans les provinces comme à la cour, fussent une source de gros bénéfices, légitimes ou non. Aussi étaient-elles fort demandées, et très certainement ceux qui les échangeaient contre la liberté ne souhaitaient cette faveur qu'après fortune faite. Othon, qui avait obtenu une situation de ce genre pour un esclave de' Galba, lui extorqua, pour prix de son intervention en cette affaire, un million de sesterces, et il n'est pas probable que l'heureux titulaire, ayant accepté d'avance le marché, le trouvât trop onéreux 13o Vespasien fit mieux que Galba. Un de ses esclaves préférés sollicitait une place de dispensateur pour un camarade qu'il recommandait comme étant son frère. L'empereur fit appeler le candidat et le nomma surle-champ, mais en se faisant remettre à lui-même la somme promise au répondant en cas de succès. Puis, ce dernier étant revenu à la charge : « Il faut, lui dit-il, te trouver un autre frère. J'ai découvert que celui-ci était le mien 131 » Pline l'Ancien rapporte ce fait d'un dispensateur de la guerre d'Arménie qui se fit affranchir par Néron moyennant treize millions de sesterces, et sans doute ne se dépouilla pas pour cela. Ce qui l'étonne, ce n'est pas qu'un dispensateur ait pu trouver cette somme, c'est que la liberté d'un esclave ait pu être mise à un taux aussi élevé f32. Le faste de ces hommes répondait à leur opulence. Le même Pline cite un dispensateur de l'Espagne citérieure qui possédait un plat d'argent de cinq cents livres 133. Des inscrip DIT -286DIT Lions en grand nombre nous montrent que les dispensateurs mème privés avaient leurs vicarü, c'est-à-dire leurs esclaves à eux, qui étaient leur propriété au même titre que leur peculium'34 A plus forte raison ceux qui appartenaient à l'empereur 13". Si l'on veut se faire une idée de ce qu'était leur train de maison, il faut lire l'inscription consacrée à un dispensateur du fisc dans la province Lyonnaise, mort pendant un voyage à Rome, par le personnel qu'il avait emmené à sa suite. Il ne se compose pas de moins de seize personnes : un homme d'affaires negot(iator), un régisseur ou économe sump(tuarius), trois secrétaires a manu, un médecin medie(us), deux argentiers ab argent(o), un valet de garde-robe ab veste, deux valets de chambre e cubic(ulo) ou cubicu(larius), deux valets de pied pediseq(uuo), deux cuisiniers cocus, enfin une femme qui est sans doute une contubernalis. Et notez qu'une partie de sa maison était restée à Lyon, ainsi qu'il ressort du texte même de l'inscription 236. Comment donc se fait-il que des personnages de cette importance aient dû titre nécessairement de condition servile, alors que d'autres fonctionnaires, auxquels ils ne le cédaient en rien, comme les tabefariif37, pouvaient être pris parmi les affranchis? M. Mommsen a trouvé sans cloute la raison de cette singularité quand ii estime que les Romains, hommes d'ordre et de prévoyance, confiaient leurs deniers à des esclaves, afin que le maitre pût, en toute occasion, mettre à la question le dépositaire infidèle et lui infliger le dernier supplice'38. G. Bi.ocu.